I. PRÉLUDES


Dom Eugène Vandeur et le mouvement liturgique


Un commencement sans bruit 

Le 15 octobre 1917 s'inaugurait à Bruxelles la vie quotidienne du groupe qui deviendrait plus tard la communauté des bénédictines d'Ermeton. Comme tous les commencements, l'événement était apparem­ment insignifiant et passait inaperçu de ceux qui ne s'y trouvaient pas directement impliqués. Quatre jeunes filles occupant deux chambres au home de la « Protection de la Jeune Fille », rue de Berlin (rue de Londres après la guerre), entourées de quelques aspirantes, chantaient ensemble, pour la première fois, l'Office divin. Jusqu'à aujourd'hui, la célébration de cette prière commune ne s'est jamais interrompue, malgré pourtant d'innombrables secousses...

Le matin de ce même 15 octobre, elles avaient amené, de l'abbaye du Mont-César à Louvain, avec l'aide du prieur de ce monastère, une grande croix offerte par le Père Abbé lui-même, Dom Robert de Kerchove, et dont l'installation dans l'une des deux chambres du "home" marquait le début d'une "œuvre" nouvelle...

Qu'est-ce qui pouvait ainsi motiver leur rassemblement, dans les conditions difficiles de la guerre, et quelle force, plus tard, pousserait à persévérer celles qui prendraient le relais de l' "œuvre" ainsi com­mencée?


La personnalité du fondateur 

Dom Eugène Vandeur, le prieur du Mont-César (prêté par l’abbaye de Maredsous pour exercer cette charge), est l'initiateur de toute l’entreprise¹. Il a alors 42 ans. De son passé il faut retenir: la mort de sa mère dont il subit le choc à l'âge de 4 ans; de fortes et brillantes études faites à Maredsous d'abord (humanités et philosophie), puis à Rome (doctorat en théologie); enfin, depuis 1903, sa collaboration à la rédaction de la revue des oblats de Maredsous (Le Messager de saint Benoît) dans laquelle il insère réguliè­rement un article sur la Règle de saint Benoît d'abord puis, chaque mois pendant quatre ans, un commentaire de la messe, avant de publier enfin en 1906 son premier et principal ouvrage: La sainte Messe, Notes sur sa liturgie².

Le drame de la mort de sa mère a laissé en lui une blessure profonde dont il gardera les traces, durant toute sa vie, dans une extrême sensibilité. Il en conçoit l'intuition du rôle essentiel, vital, que les femmes sont appelées à jouer non seulement au sein de la famille, mais encore dans l'Église et la société tout entière. Par leur lien plus immédiat aux valeurs de la vie et de l'amour, ne peuvent-elles pas contribuer puissamment au rayonnement de l'Évangile dans la société, à l'unité, à la stabilité, à la paix du monde ? Il le sait parce que, précisément, dans son existence personnelle, le bienfait indispensable de cette présence lui a définitivement manqué. Il est arrivé à Maredsous comme oblat à l'âge de 14 ans, y a émis sa profession monastique à 19 ans. Après ses études, il sera professeur à l'École abbatiale puis, dès 1909, prieur au Mont César et préfet des clercs. Lui-même assume la charge de plusieurs cours, tout en exerçant un ministère de confesseur et de "directeur spirituel", comme on disait alors, ministère de plus en plus accaparant. De plus, il entre en contact direct avec Dom Lambert Beauduin³ et le "mouvement liturgique" dont il sera l’un des initiateurs.


Le mouvement liturgique       

À lire notamment le petit ouvrage de synthèse que Dom Lambert publia en mai 1914, intitulé La piété de l'Église⁴, pour présenter au grand public les intuitions essentielles du "mouvement liturgique", on est frappé de la correspondance étroite entre les idées qu'il expose et celles que Dom Vandeur entendra mettre à l'honneur et incarner dans sa fondation. Tel qu'il se développe à partir du Mont César, le mouvement avait une visée essentiellement pastorale : il devait gagner la masse des fidèles, principalement par l'action des prêtres de paroisse. Dès 1910, des sessions annuelles et une revue, destinée exclusivement au clergé et aux religieux, soutiennent sa vitalité. Dom Lambert rêvait même d'une "école liturgique" pour la formation du clergé diocésain et des moines. Sur la base d'une approche à la fois historique et critique, il voulait faire redécouvrir la place centrale de la Liturgie - notamment de la messe – ­comme source et fondement de la vie spirituelle authentiquement chré­tienne, de préférence à toute forme de dévotion individuelle. De là surgirait un renouveau de la "vraie prière" universelle de l'Église et, par conséquent, de la vitalité de tout le peuple chrétien⁵.

Dans un tel contexte, on verra que l'originalité de Dom Vandeur ne tient pas à ses conceptions sur la Liturgie qu'il partage avec ses confrères du Mont-César. Elle consiste plutôt à avoir repéré l'importance du rôle que pourraient jouer les femmes en faveur de cette "démocratisation de la Liturgie" que Dom Lambert appelait de ses vœux.


Notes bibliographiques

1. Victor Vandeur, futur Dom Eugène, est né à Namur le 21 mai 1875. Son père, Louis Van Deur, d’origine flamande, a épousé une namuroise, Thérèse Massart. Le frère Eugène fit profession monastique à Maredsous le 15 février 1894. Le 11 novembre 1909, il fut nommé prieur à l’abbaye du Mont-César à Louvain où il restera jusqu’en février 1933. Il est décédé à Maredsous le 5 novembre 1967.
2. Namur, abbaye de Maredsous. Cf. Mémoires de Dom Vandeur, 1" cahier (manuscrit), p. 149-151.
3. Dom Lambert Beauduin (1873-1960), prêtre « Aumônier du travail », est entré à l’abbaye du Mont-César en 1906.
4. L. BEAUDUIN, La Piété de l’Église,Principes et faits, Louvain, Maredsous, 1914, 100 p.
5. Cf. A. HAQUIN, Une réussite: le mouvement liturgique du Mont César (1909-1914), dans Veilleur avant l'aurore, Colloque Lambert Beauduin, Chevetogne, 1978, p. 53-77.
 


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